Interview exclusive de Philippe Gas
- clementbargain
- May 22, 2013
- 11 min read

Il est le Président Directeur Général d'Euro Disney, Philippe Gas, une personnalité extrêmement sympathique et naturelle rencontrée dans les bureaux de Disneyland Paris! Il nous dévoile son remarquable parcours et nous livre les projets futurs pour le parc... Rencontre!
Vous travailliez en Suisse chez General Motors, Comment avez-vous entendu parler du projet d’Euro Disney ?
C’est un hasard ! J’avais entendu parler du projet d'Euro Disney qui allait ouvrir en France. La branche dans laquelle je travaillais chez General Motors est une branche dont la durée de travail est assez courte. Après, on est affecté à un autre poste. Pour ma part, j’ai été muté à La Défense à Paris. En France, il y avait beaucoup d’annonces dans les journaux pour des recrutements. A l’époque, ils recherchaient beaucoup de profils financiers. En sachant qu’il y avait des opportunités, j’ai envoyé une candidature.
Pourquoi contacter Euro Disney ? Quelles étaient vos motivations ?
Ce qui m’intéressait, c’était le côté magique de la marque Disney et en même temps ce projet énorme qui était unique à l’époque de l’ouverture. C’était vraiment l’excitation des deux !
Vous entrez à Disney environ un an avant l’ouverture du parc en tant qu’analyste financier Junior, en quoi est-ce que cela consistait ?
L’analyste financier, c’est celui qui contrôle l’évolution du budget. Il y en a partout dans notre société : cela va de la restauration aux ressources humaines. Pour ma part, j’avais une division que je suivais particulièrement: c’était les ressources humaines, le juridique et la direction générale. Je les aidais dans le développement de leur budget, dans le suivi des dépenses, les analyses financières…
Toute la vision américaine négative, les quelques polémiques… ne vous ont pas effrayé ?
Non parce que je suivais une sorte de rêve ! Je n’ai jamais eu d’ à priori par rapport à cette polémique. La polémique en France est à mon avis liée à différents éléments qui sont une espèce de relation ambigüe entre la France et les Etats-Unis. C’est un peu « je t’aime, je ne t’aime pas ». Il y a ce côté impérialiste américain, cette grande puissance qui déplait mais aussi qui fascine les français. A l’époque, tout le monde voulait venir à Disneyland Paris, mais personne ne voulait le dire. Je trouvais ça très drôle ! Pour ma part, sans le savoir, mes valeurs ont toujours été très proches de celles de la société Disney. J’avais vraiment la vraie vision de la société puisque j’y étais.
Comment vous êtes-vous senti chez Disney ?
Bien tout de suite ! Je ne sais pas pourquoi mais c’était naturel ! Je n’avais pas de doute sur le fait que ça allait être ma vie. Je ne sais vraiment pas l’expliquer… Je savais que cette société allait m’épanouir. Je savais que ça allait être une partie importante de ma vie. C’est plus qu’un simple job !
Michel Perchet, premier directeur français des ressources humaines d’Euro Disney change votre destin dans l’entreprise, expliquez-nous cette rencontre…
J’étais donc au contrôle de gestion et Michel était le premier directeur des ressources humaines en France. Je suis devenu son financier, c’était mon client. Michel est quelqu’un de très créatif qui a une sensibilité humaine très forte. Il est devenu un mentor, un modèle. Après quelques mois, il m’a demandé de quitter les finances pour venir dans les ressources humaines et travailler directement pour lui. J’étais un peu comme son directeur de cabinet. J’étais son bras droit. Michel m’a vraiment fait découvrir l’importance des ressources humaines dans une société. Il m’a donné quelques opportunités marrantes ! Michel parlait très mal l’anglais et moi plutôt bien ! J’ai donc été exposé à nos collègues américains puisque c’était moi qui parlait. Grâce à cette exposition, on m’a donné l’opportunité de quitter Disneyland Paris pour partir au siège de la société.
Cela a été un véritable tournant dans votre carrière, vous êtes alors dans les ressources humaines à travers le monde de Disney, en Asie, en France, aux USA… comment se sont déroulées ces quelques années ?
C’est génial ! Ce que je voulais, c’était vraiment de voir comment était une culture. Je suis très curieux ! Travailler dans des contextes humains complètement différents m’a vraiment beaucoup plu ! Cela apporte une grande ouverture d’esprit. Cela m’a aussi ouvert à autre chose que les parcs à thème, Disney est un groupe énorme avec de multiples divisions. J’ai donc eu l’occasion de travailler avec essentiellement les médias et découvrir ainsi d’autres activités.
C’est en 2003 que votre premier retour chez Euro Disney se fait, pourquoi revenir en France ? Comment devenez-vous PDG d’Euro Disney ?
On est venu me chercher. Je n’étais pas resté réellement en contact avec les gens de Disney. Un jour, fin 2003, j’étais en Inde et la directrice des ressources humaines de l’ensemble des parcs dans le monde m’a appelé. Elle recherchait quelqu’un pour prendre la tête des ressources humaines d’Euro Disney. Elle m’a demandé si je connaissais des personnes susceptibles d'occuper ce poste. J’étais basé à Hong Kong depuis 4 ans et je ne connaissais plus grand monde ! Et là, elle me demanda : « et toi ? » ! Je n’étais pas spécialement intéressé, pas par rapport à Euro Disney mais par rapport à ma vie qui s’était organisée en Asie. Plus tard, on m’a rappelé et on m’a vraiment sollicité ! C’est bien car cela flatte un peu son égo… ! [Rires] On m’a donc demandé de venir de façon temporaire. Pendant un an, j’étais 15 jours à paris, 15 jours à Hong Kong ! Puis, j’ai commencé à m’attacher aux équipes, j’ai retrouvé des gens, une ambiance… Sans le savoir, j’ai retrouvé une culture qui m’avait manqué. Cette personne m’a confirmé que c’était bien moi qu’elle voulait ! J’ai accepté et suis revenu définitivement en 2004. Entre 2006 et 2008, j’ai remplacé cette dame et ai donc été à la tête des ressources humaines de tous les parcs. Le patron de l’époque m’a annoncé que cela serait temporaire et m'a confié que je serai patron de Disneyland Paris en 2008. Je savais qu’en partant d’Euro Disney j’allais revenir !
Réalisez-vous tout de suite ce qu’il vous propose ?
Dans ma tête je savais que j’avais construit ma carrière de façon à avoir une double expérience : financière et ressources humaines. C’est pour moi les deux éléments clés d’un gestionnaire d’une entreprise ! Ce sont les bases essentielles. Dans ma tête, je me préparais à un job de management général mais lequel ? Je ne savais pas ! Mais dans ma petite liste de jobs que j'envisageais un jour, il y avait celui la ! Ce job a une spécificité unique chez Disney, c’est une société publique avec toutes les spécificités d’un président : le côté bourse, un conseil de surveillance, des actionnaires, des journalistes, des relations publiques, les relations avec le gouvernement, le management… Dans cette fonction, il y a tous les aspects d’un vrai patron ! Quand il m’en a parlé, cela m’a fait plaisir et m’a surpris mais en même temps, ça m’a semblé assez naturel !
Comment vit-on le fait de se retrouver PDG d’une si grande entreprise ?
Je vais vous dire comment on vit le fait de devenir PDG d’une société qu’on connait depuis très longtemps. Ce n'est pas comme si on venait d'arriver après avoir été recruté. Ce qu’on réalise très vite, c’est le changement du regard des autres ! La chose la plus difficile pour moi a été de m’adapter aux changements de comportement des gens ! D’un seul coup, je n’étais plus Philippe ! Il y en a même qui se sont mis à me vouvoyer subitement ! Il faut s’habituer à être le numéro un ! Sans s’en rendre compte, on se retrouve isolé ! Il faut recréer sa propre image dans ce nouveau rôle, mais il ne faut pas être quelqu’un d’autre de ce que tu es réellement ! Il faut trouver un équilibre et c’est difficile ! Tout est pareil mais tout est différent ! Tout le monde porte un regard différent ! Encore aujourd’hui par exemple : je vais parfois manger à la cafétéria le midi et les gens ne viennent pas s’asseoir à côté de moi ! Ils n’osent pas, te regardent… Un jour, je suis allé manger avec mon directeur financier et nous nous sommes assis à coté d’un plateau vide ,la personne avait dû aller chercher à boire et elle n’est jamais revenue ! Il y a une sorte de peur, d’angoisse envers le numéro 1 ! Et ça, il faut s’y habituer ! C’est ce qu’il y a de plus compliqué !
Vous êtes connu pour tisser un véritable lien avec vos employés, quelles relations entretenez-vous avec eux ?
Je suis l’un d’entre eux ! Je viens d’ici : je me suis marié ici, ma fille a fêté son premier anniversaire ici… C’est ma famille, c’est ma vie, c’est tout ! Entre eux et moi, ce qui est super c’est que je suis comme eux ! Ce n’est pas parce que j’ai ce job là que je suis devenu subitement Dieu ! Il ne faut pas oublier ce qu’on est ! Pour beaucoup d’entre eux, je suis devenu une sorte d’exemple, l’exemple de quelqu’un qui a commencé ici tout en bas et qui est arrivé tout en haut. Si c’est arrivé à moi, ça peut arriver à quelqu’un d’autre ! Je suis très normal, cela peut arriver à beaucoup d’autres ! Il y a une motivation naturelle par l’exemple qui est importante.
En quoi Euro Disney se différencie des autres parcs Disneyland?
Euro Disney est différent dans le sens où la clientèle est basée sur 8 marchés principaux. Euro Disney est un merveilleux laboratoire de diversité ! Il y a environ 100 nationalités représentées ici : on est l’ONU [Rires]. Ce qu’on ne retrouve pas dans les autres parcs. C’est cette mixité, cette diversité d’énergie que l’on retrouve ici qui rend Disneyland Paris unique !
C'est cette différence qui vous plait le plus chez le public européen?
Ah oui ! C’est ce qu’il y a de plus motivant dans ce travail. Un client allemand n’est pas un client espagnol ! Ni dans sa motivation, ni dans sa manière d’être. Nous, on doit faire du sens sur tout ça et recréer une vraie histoire consistante. C’est pour moi le côté le plus excitant ! Ce qui me rend le plus heureux, c’est de voir que ces 100 nationalités travaillent bien ensemble.
Que préférez-vous dans votre métier ?
J’aime bien tout ! J’adore le management, cette proximité avec les gens. J’aime faire en sorte que les 15000 employés aient envie de venir avec moi quelque part, que ma vision soit partagée. C’est extrêmement gratifiant et enrichissant ! J’aime ce job là ! Il y a aussi d’autres fonctions que j’ai découvert ici : les relations avec la presse, les différents médias… Je me suis beaucoup développé là dedans. Si l’on regarde le Philippe Gas d’il y a cinq ans, il n’a rien à voir avec le Philippe Gas d’aujourd’hui !
20 ans d’Euro Disney… comment vit-on cet événement quand on en est le président ?
C’était très émotionnel ! C’était pour moi une histoire personnelle. J’étais là il y a 20 ans lors de l’ouverture : j’étais avec un T-shirt pas très joli à faire la circulation ! [Rires] Me retrouver 20 ans plus tard à accueillir les gens sur scène lors de discours, toutes ces images reviennent ! C’est un moment très personnel. C’était super !
Quelle est votre plus grande fierté ?
Ca serait plutôt une satisfaction… Je suis arrivé lors de la crise en 2008. Le monde avait changé et on ne savait pas trop si cela allait durer 6 mois, 1 an… Cinq ans plus tard, on est encore dedans et ma satisfaction est d’avoir gardé une équipe soudée, mobilisée et qui permet de traverser cette crise plutôt d’une bonne façon. On s’en sort très bien dans notre performance dans le tourisme, même mieux que d’autres acteurs. On a gardé la mobilisation des gens, réussi à faire des choses et des choix aux bons moments malgré la crise ! Je ne parle pas que de moi mais de toute l’équipe ! On a pris beaucoup de risques ! Avoir cette équipe derrière moi complètement en ligne est un véritable plaisir ! J’ai aussi eu la chance, malgré la crise, de fêter le 20ème anniversaire ! C’était unique ! Personnellement, si je devais choisir une période, ça serait celle-ci !
Votre vie professionnelle semble avoir pris le dessus, comment s’est organisée votre vie privée ?
Ma vie privée ? [Rires] C’est marrant parce que c’est différent ! Pendant près de 10 ans, j’étais quasiment tout le temps en avion et n’ai pas eu le temps de voir beaucoup ma fille grandir. J’ai passé beaucoup de temps sans voir ma famille. Aujourd’hui, je rentre tous les soirs chez moi, c’est plus équilibré ! J’ai une famille très supportrice ! Ma famille s’est beaucoup sacrifiée pour moi et je ne serais pas où je suis aujourd’hui sans eux ! On est aujourd’hui très fiers de ce qu’on est devenu tous !
Avez-vous l’occasion de profiter du parc et de ses attractions ?
Oui, j’ai la chance d’être à l’origine de certaines attractions. Le parc en soi, j’y vais régulièrement : c’est important ! Mon exutoire est d’aller voir les gens dans le parc. Je suis à trois minutes du parc et y aller juste 5 minutes, c’est super ! On voit les gens, les familles entre elles et là on se dit que c’est pour ça que l’on fait tout cela ! C’est parfois difficile de savoir pourquoi on travaille ! Pour cela, il suffit d’aller dans le parc quelques instants, c’est très important pour sa motivation et sa paix personnelle. C’est aussi là qu’on se rend compte que les Cast members sont géniaux ! On partage la même valeur !
Quelle est votre attraction préférée ?
J’ai toujours aimé Pirates des Caraïbes parce que c’est une ambiance qui correspond à ce que j’aimais quand j’étais petit : cette chaleur qui plonge dans les caraïbes, cette atmosphère… C’est vraiment ce que je préfère ! J’aime les attractions qui nous plongent dans une histoire, je ne suis pas à la recherche d’émotions fortes! J’aime me replonger dans des histoires qui me rappellent l’enfance. Mes préférées sont Pirates des Caraïbes, Crush et la tour de la terreur !
Quand on est PDG d’un lieu féérique comme Disneyland Paris, j’imagine que l’on doit garder son âme d’enfant…
C’est important ! On ne se prend pas au sérieux ! On est payé pour se demander ce qui va faire rire les gens, ce qui va plaire… Il faut être optimiste !
Est-ce un rêve d’enfant qui s'est réalisé pour vous ?
Oui, quelque chose de très naturel ! En étant très objectif avec moi-même, sans prendre la grosse tête, je peux me demander : pourquoi moi ? Il n’y a pas de raisons… J’ai été élevé dans un milieu très normal, on ne m’a jamais fait penser que j’étais la cinquième merveille du monde ! Au contraire ! Je prends beaucoup de recul par rapport à ça ! Tout est très naturel ici, je ne me force pas. Je ne sais pas si je serais très heureux dans un autre environnement…
Quels sont les projets futurs pour le parc ? (nouvelles attractions, nouveaux spectacles, événements…) ?
Dans l’immédiat, il y a Ratatouille ! Pour le parc, il y a un gros projet : Villages nature en partenariat avec Pierre et Vacances. Cela va être une thématique très nouvelle et unique en France : l’environnement, l’écologie et les relations entre l’homme et la nature. On veut montrer que notre civilisation et notre modernité peuvent cohabiter avec la nature. On va normalement ouvrir la première phase de cette nouvelle destination début 2016. C’est quelque chose pour nous de très stratégique et important ! Ensuite, il y a le projet de faire grandir Walt Disney Studio avec de futurs projets dont on ne peut pas parler maintenant… Le studio sera à terme aussi grand que le premier parc : on pourra facilement y passer la journée. Disney va continuer à vivre !
Avez-vous des rêves, des envies que vous n'avez encore jamais réalisés?
Il y a des endroits où j’ai encore envie d’aller, il y a des questions que je vais continuer à me poser… Qu’est ce que je serai demain ? Quelle est ma prochaine aventure? Je ne sais pas! Tout cela s’arrête un jour ! Ce n’est pas des rêves mais plutôt des questions que je me pose mais c’est assez excitant de se dire que l’on peut faire et découvrir encore plein de choses ! Je ne suis pas marié à un pays… Cela dépendra aussi de ma famille, on verra ! Je suis aujourd’hui vraiment heureux de ce que je fais, sincèrement ! Je n’ai pas envie de faire autre chose pour le moment ! Mes rêves pour l’instant, c’est de continuer à faire marcher ce business en allant dans la bonne direction, en faisant les bons choix et puis de s’amuser un peu ! [Rires]
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