
De l’encre dans les veines
Permettre aux toxicomanes de récolter légalement des fonds pour se droguer, telle est l’initiative du magazine Illegal!, vendu depuis quelques semaines dans les rues de Londres.
Par Clément Bargain
Le Danois Michael Lodberg, qui déjà avait imaginé «une salle de shoot» mobile dans sa fourgonnette, a eu l’idée de créer le magazine Illegal! pour que les toxicomanes puissent se droguer. Selon lui, cette source de revenus alternative éviterait aux utilisateurs de drogues de recourir à la criminalité ou à la prostitution. Un toxicomane reçoit le magazine gratuitement qu’il vend ensuite pour récolter des fonds. Des doutes subsistent toutefois sur les réels effets bénéfiques possibles pour les consommateurs.
Le directeur de la version britannique, Louis Jensen, dit avoir été séduit immédiatement par le projet. «Quand j’ai rencontré Michael, il était évident que nous partagions la même philosophie de la dépénalisation de la consommation de drogues», confie- t-il. Le contenu de l’édition britannique est basé sur une utilisation plus sûre des médicaments. «Notre ligne directrice, c’est sur l’usage de drogues et leurs effets», affirme Louis Jensen. Pour lui, l’alcool, la nicotine et les somnifères sont considérés comme des drogues. «C’est à chacun de choisir ce qu’il prend et ce qu’il consomme, assure le responsable du magazine. C’est une question d’éducation et non une question juridique.» Illegal! est vendu 6 $ et si les ventes fonctionnent, les consommateurs de drogues doivent verser 3 $ pour couvrir les frais de publication. Face à l’engouement, Illegal! se lance en Angleterre.
La réception du journal au Royaume-Uni par la population a été très mitigée mais accueillie à bras ouverts par les consommateurs de drogues, selon Louis Jensen. Plus de 600 exemplaires ont été tirés et Illegal! compte bien se développer davantage en Europe. Une version numérique est en préparation pour la Russie et le magazine pourrait voir le jour en France. Pour le médecin addictologue français Guy Duhoux, ces expériences sont moins axées sur le jugement et plus orientées vers le résultat et l’efficacité pragmatique. «Dans les pays latins, l’opinion est susceptible de réagir en estimant qu’il y a dans cette proposition une forme de banalisation et d’encouragement de l’usage», explique le médecin.
Un tel magazine pourrait-il voir le jour au Québec ? Selon Maître Marie-Andrée Denis-Boileau, tant qu’une Cour ne se penchera pas sur la question, il n’y aura pas de réponse claire. «À la base, je ne crois pas qu’il y ait quoique ce soit d’illégal. Je ne vois pas comment on pourrait fermerle magazine», confie l’avocate. Cependant, elle émet quelques réserves. «Avec beaucoup de motivation, la personne qui publie dans le magazine et qui sait que les profits iront à la possession de drogue pourrait être accusée en tant que participante à une infraction. Elle fait un geste en vue d’aider quelqu’un à commettre le crime puisque la possession dedrogue est un crime.»
Un deuxième numéro est d’ores et déjà en préparation pour l’été prochain. Illégal ou non, le magazine continue de faire couler de l’encre et surtout de la drogue dans les veines.